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WASSIL IVANOFF, CREE PAR LUI-MEME

2023

Deyan Kyuranov, PhD

L’antiopportuniste

C’était en 1971 que Wassil Ivanoff fit un voyage de sa Sofia natale à Paris. Pour un artiste venant de la République Populaire de Bulgarie, comme le pays se nommait en ce temps-là, Paris était plus qu’un centre d’art mondial. Paris appartenait à une réalité transcendantale, à l’au-delà du Rideau de Fer: c’était l’Ouest. À l’Ouest on comprenait l’art différemment des pays de la „dictature du prolétariat“, où l’art se composait de deux éléments: de politique et d’еsthétique. À l’Ouest, supposait-on (naïvement), les deux éléments étaient esthétique et commerce: l’argent devait garantir l’indépendence de l’artiste créateur!

Du point de vue argent, Ie voyage de Wassil Ivanoff n’était pas un succès. On acheta à peine quelques unes de ses oeuvres (on dit qu’une d’entre elles a été acquise par Picasso) – mais Ivanoff n’a pas pu vendre son art et devenir riche, fameux et indépendant.

En ce qui concerne la rencontre avec l’art mondial, elle eut lieu. Wassil Ivanoff fit la tournée assidue des musées et des galeries d’art. Mais pour lui cette rencontre resta sans conséquences artistiques: son style unique s’était déjà  formé pour de bon.

L’opinion conventionnelle dans les milieux artistiques (et pas seulement artistiques) bulgares contemporains aurait été de juger l’escapade parisienne d’Ivanoff comme l’échec d’une vie. Mais Wassil Ivanoff avait maîtrisé l’art risqué de se libérer de toute conventionalité. Surtout les conventions de l’opportunisme! En effet, il était à tel point non-opportuniste jusqu’à devenir anti-opportuniste. Il s’était bâti comme artiste et personnalité par opposition aux opportunités de grimper dans l’ échelle sociale. Certes, il aurait préféré le succès à Paris; mais le manque de succès ne fut pas tragique.

Lors de la venue des communistes au pouvoir en Bulgarie en 1944 (à l’époque Ivanoff avait 35 ans), il avait déjà assez d’intelligence et de professionalisme pour imiter l’art visuel européen et américain, soit-il commercial ou d’avant-garde. Mais il n’a pas voulu imiter, alors il n’imita ni artiste, ni style.

Durant la période communiste il pouvait devenir un artiste favori des dirigeants, imposé au “peuple ouvrier” comme un géant du “réalisme socialiste”, maître imitateur de l’art soviétique. Il avait les bonnes données pour cette genre de carrière: avant la guèrre, de son bon gré, il avait choisi d’embrasser un réalisme et un gauchisme, tous deux assez sui generis, mais sincers.

Wassil Ivanoff choisit un tout autre chemin. Sous les communistes, son gauchisme s’évapora rapidement, le laissant neutre en matière de politique partisane. N’étant pas de type dissident, il ne s’attaqua pas non plus aux doctrines artistiques obligatoires. Sans gestes publiques, il se dissocia. En échange, le régime, sans gestes aussi, l’ostrakiza. Les peintres du régime, en tant que combattants au front idéologiques, avaient droit au certains ressources et privilèges : Lui, et d’autres comme lui – non. Cette chute sociale ne l’a pas fait jouer au fils prodigue. Certes, il ne lui plaisait pas de vivre en marginal, mais apparemment les compromis artistiques et moraux lui plaisaient encore moins.

Enfin, un point risqué: Wassil Ivanoff, en jugeant d’après les photographies et les écrits de témoins (quelques-uns d’entre eux me l’ont dit personellemernt) a été un homme héterosexuel attrayant: le visage aux traits forts (mais le regard plein de gentillesse); un corps d’athlète (il était un yogi avancé); puis, violiniste classique accompli (au début il voulait devenir musicien, pas peintre), et, en plus, un diseur de bonne aventure (ces prédictions se réalisaient)… Tout cela le faisait très intéressant: il devait avoir des propositions constamment. Mais les dernières 25 années de sa vie, pour lui il y avait au monde qu’une seule femme: sa propre épouse. Point.

Peut-être tout cela est-il un anti-opportunisme poussé trop loin? Erreur. Pour Wassil Ivanoff rien n’était de trop. Cet homme passait ces jours en poussant devant lui la frontière avec l’au-delà.

 

Contexte historique d’unе chute biographique

Le manque de succès de Wassil Ivanoff dans le monde, ainsi que dans son pays natal, est fondé, en fin de compte, sur son intégrité. Il voulait, à travers son œuvre, résoudre des problèmes artistiques de son propre choix, c.à.d. des problèmes posés par le développement libre et naturel de l’art visuel bulgare, tout en cherchant des moyens non-essayés. Mais après 1944, l’art bulgare devait se développer dans le terrain limité de ce qui était politiquement correct pour les communistes. Du côté de l’art dans le reste du monde dans les années 1960-1970, ses problèmes étaient bien différents de ceux en Bulgarie et demandaient d’autres moyens. Picasso, par exemple, pourrait comprendre I’art d’Ivanoff et apprécier son talent, mais… aller par la même route ? Impensable. Parce que pour Picasso parcours d’ Ivanoff, même s’il n’était pas sans importance, aurait été sans interêt. D’une manière ou autre, c’était du déjà vu. De l’autre côté, Picasso pourrait comprendre pourquoi Ivanoff ne pouvait pas suivre son parcour. En fin de compte – bateaux dans la nuit.

Ivanoff a payé sa liberté artistique par sa marginalization; mais cette liberté, qu’a t’elle donné à son art?  En Bulgarie, aux yeux du pouvoir, Ivanoff était un artiste declassé; mais aux yeux de la communauté de ses collegues, il faisait toujours partie d’une élite informelle. Après la mort de Djougashvili, dit Staline (1953), la censure du Parti (il n’y avait pas besoin d’ajouter “communiste”- car il n’y avait qu’un seul, mais on mettait toujours la majuscule) devint un peu moins enragée, et en 1964 des amis d’ Ivanoff avaient obtenu la permission pour lui d’une exposition individuelle dans une galerie d’art centrale. Deux heures avant l’inauguration, des inconnus vinrent et verouillèrent les portes: l’exposition a été interdite “d’en haut”. Serait-ce le résultat d’un rapport-flash de la police politique, chose banale et courante? Pas cette fois: le régime n’en voulait pas à Ivanoff sa (non)politique – seulement son art.

L’art auquel Wassil Ivanoff avait arrivé et qu’il voulait présenter au public était loin du réalisme socialiste, le style imposé par l’Union Soviétique. Durant les premières années du communisme, Ivanoff travaillait dans la manière d’un réalisme traditionnel pour la Bulgarie, assez nébuleux et inclusif. Mais après 1944 il commença, par essais et erreurs, à découvrir sa propre route, s’éloignant de tout réalisme. Alors, il voulait bien exhiber les résultats.

Le réalisme traditionnel bulgare devait réagir à la crise existentialiste des arts visuels en Europe et les Amériques après l’introduction du daguerrotype au milieu du XIXe siècle. Il s’agissait de donner une réponse sérieuse à une question formidable: comment l’art pourrait survivre sans être représentatif? Mais quand l’art bulgare joignit ce processus, il avait presqu’un demi-siècle de retard (deux générations, pour les sociologues). Pour la Bulgarie, le point de départ était 1878, quand l’état bulgare moderne a été constitué, et commença de parainner systématiquement l’art laïque (avant, la Bulgarie n’a été pour des siècles qu’une province de l’Empire ottoman).

Avant 1878, tout art visuel bulgare était enchainé à  la tradition iconographique de l’Eglise orthodoxe, qui n’avait pas beaucoup changé depuis le Moyen Âge. Si l’artiste ne copiait pas certains types d’images codifiées, il ne serait pas contracté par l’Eglise, qui était pratiquement le monopoliste aux affaires artistiques. L’art passait de maître à élève. Ce n’est qu’au XIX-e siècle qu’apparurent trois (oui, rien que trois) peintres de formation artistique académique, qui ont introduit la peinture non-réligieuse dans leur pays natal. Deux ont été formés à St. Pétersbourg, un – à Vienne.[*] Regrettablement, ces trois peintres propagandaient l’académisme de l’époque, c.à.d. un réalisme qui ne tenait pas compte des conséquences de l’existence de la photographie.

Mais, pour la Bulgarie, même cet académisme était un pas en avant, comparé à l’iconographie de jadis, qui ne trouvait pas le monde digne d’être représenté: ce qui comptait pour cet art gelé, c’était de trouver une image imaginaire d’une idée abstraite, et la réaliser en obéissant au canon.

Dans ce contexte, il advint que, quand l’état fonda l’Ecole supérieure des arts (1896), on a commençé à enseigner une version bulgare du même académisme stérile.

La société de l’époque trouvait cette peinture the thing. En premier, parce que l’académisme regnait toujours dans les capitals européens et des Ameriques. Quand les institutions établis se reppelaient le Salon des refusés de 1863 – pour eux ce n’t tait pas la naissance d’un Weltanshauung qui allait changer la culture moderne, mais un moment quand l’art bon s’est débarrassé d’un expériment qui a mal tourné.

La Bulgarie s’acharnait à rattraper l’exemple européen, mais, 33 ans après  l’explosion de l’impressionisme et malgré la photographie, on tenait toujours au réalisme photographique!

En second, s’il a pris longtemps aux artistes et critiques à accepter l’art visuél non-photographique, la société bulgare, moins nombreuse, moins riche et plus provinciale, a été encore plus lente, Il faut se sentir fort, confidant, libre pour oser une position controversée. Pendant ses 66 années d’existence, l’état bulgare pré-communiste ne tenta pas ce pas risqué. Et la société communiste qui succéda était encore moins sophistiquée culturellement. Le cas de l’attitude communiste envers l’impressionnisme nous révèle beaucoup.

Dans les académies d’art en l’URSS et les “démocraties populaires”, on jugeait l’impressionisme comme bon style. Mais idéologiquement il devait  être dénoncé en tant que non-photographique et, de là, “incompréhensible par la classe ouvrière”. En même temps il était “bon uniquement pour I’Occident”, et seulement dans le passé: un artiste contemporain qui aurait expérimenté dans ce style aurait été châtié promptement, car seul le “réalisme socialiste” était acceptable. De l’autre côté, l’acceptation historique de’l impressionisme donnait une base excellente pour dénoncer tout art contemporain non-socialiste comme decadent, preuve de la décadence générale de l Ouest.

On fesait aussi des exceptions pour raisons purement politiques: Picasso, mentionné ci-dessus, était considéré “des nôtres” malgré son art non-réaliste: il était un progressif, et – comme on nommait officialement ce genre d’hommes – “un grand ami de l’Union soviétique”.

En ce contexte il doit être plus comprehensible pourquoi Vassil Ivanov n’a pas voulu faire les choses qu’il n’a pas fait. On est arrive au point d’examiner les choses qu’il a fait – et de spêculer sur la raison pourquoi.

 

L’artiste autocréateur

Vasssil Ivanoff a acquit lui-même sa liberté dans l’art; la non-liberté lui a été imposée à travers son éducation à l’Académie des Beaux – Arts bulgare. Il en est sorti en 1939. Pendant l’entre-deux guerres les jeunes artistes les plus audacieux ont formé un cercle, la devise duquel pourrait être formulé comme “Servons-nous de  l’art du monde pour développer l’art national bulgare!”. Naturellement, cela entraînait un tas d’autolimitations. Au nom d’un développement “organique” de l’art bulgare, des inventions comme l’art abstrait ou le cosmopolitisme dans l’art auraient été jugés “peu serviables”. Le mot-clé était “organique”. Bien sur, iI orientait le travail artistique vers l’évolution et pas vers la révolution. Pratiquement, ça voulait dire qu’on freinait un processus déjà tardif et qui se déroulait assez lentement. Et pourtant, pour ces jeunes gens doués – et patriotiques – cela était conçu comme un devoir.

Et dans la conjoncture, les artistes d’avant-guerrepourraient bien avoir eu raison. Il suffit de comparer leurs biographies artistiques à celles des artistes bulgares qui, après la chute totale du système totalitaire en 1989, ont reçu une liberté personnelle et artistique pratiquement illimitée. Et  de cette liberté ils se sont servis de la façon la plus banale: ils ont démoli leurs constraintes morales.  Ils se declaraient avides de rattraper l’art du monde, mais en réalité tout devait se retirér devant le succès personnel, mesuré en argent  comptant. On a vu quelques exceptions, il y a toujours quelques gens doués et chanceux; mais la plupart ont échoué. Ils ont fini par produire un peu d’art imitatif qu’ils n’ont pas réussi à vendre nulle part.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, lvanov faisait partie de ce groupe de patriotes-évolutionistes et commença à peindre des portraits réalistes, et aussi des compositions qui, de base réalistes, étaient intéressantes grâce à certains traits fauvistes. Mais ce sont ses paysages, bien composés et émanant un calme rural, qui lui ont permis de vivre de son art.

Il se peut qu’Ivanoff ait commençé à s’éloigner du réalisme épouvanté par l’immense sacrifice humain pendant la Séconde Guerre  mondiale. Une  négation générale humaniste pourrait être renforcée par la réaction à la  camisole de force, sentie par les artistes dès le commençement du communisme réel. Une chose était certaine: le “réalisme socialiste”, imposé par Moscou, ne pouvait pas  être l’étape suivante d’une évolution libre et organique de l’art national bulgare. Pour un homme comme Ivanoff, qui suit ses propres principes sans avoir bésoin de les proclamer, un rébeillon parait inévitable à un moment.

Il lui prit plus de dix ans pour y trouver la forme artistique personnelle.

Cependant, les autorités post-staliniens encourageaient Ivanoff pour le réalisme résiduel dans son art, le châtillant en même temps pour son manque d’enthousiasme socialiste. Eh bien, si quelque chose dans son art plaisait à ces petits dictateurs – il faut s’en débarrasser! A bas mon propre passé avec son réalisme serein et patriotique! A bas cet évolutionisme patriotique et prudent! Ce dernier point n’est pas très logique à l’esprit, mais psychologiquement est facile à comprendre. L’imagination se libéra de la terre bucolique et s’élança dans l’espace cosmique. Le résultat fut le début de ce qu’un jour on appellera son Cycle cosmique. Ces visions cosmiques ont suggéré à l’Arts Encyclopedia, New York, d’appeler son art cosmic graphics. Avec son exposition avortée de 1964  il a essayé pour la première fois de montrer au monde son propre nouveau monde. Le régime l’a caché.

Mais cette fois Ivanoff ne renonça pas: l’auto-marginal décida de lutter contre le Parti omnipotent – pas pour soi, mais pour ses découvertes artistiques. Il a commençé à adresser des lettres au pouvoir – à l’Union des Artistes, l’organisation d’état chargée de la censure, puis directement au dictateur Zhivkov. Avec ces lettres il ne demandait pas timidement si son exposition, après avoir été approuvée, a été interdite par quelque malentendu: il exigeait/insistait que l’exposition soit ouverte au public. Et s’il s’avérait impossible, qu’elle soit ouverte au moins à un groupe restreint de spécialistes – artistes, critiques et théoriciens d’art, quelques-uns choisis par lui-même. Et puis qu’ils discutent, et s’ils décident que son art aurait un effet malfaisant sur le public bulgare, qu’ils lui expliquent à Wassil Ivanoff pourquoi.

Par-dessus le marché, ces lettres sont écrites avec un style brilliant: succincte, incisive, on peut y ressentir le dédain et l’ironie. D’autres artistes ont été frappés de même, mais je ne connaîs pas d’autre pareille réaction de la part de la victime. La pratique courante était de se faire une autocritique publique humiliante, puis de se taire; les plus audacieux se taisaient sans autocritique. Mais, cette fois, s’était le régime qui se tût, car il n’existait pas d’algorithme approuvé. Enfin, après des mois de lettres successives d’un côté et de silences répétés de l’autre, l’impensable arriva: le régime communiste recula. Ils decidèrent de céder à ce Wassil Ivanoff son exposition! Certes, une exposition plus petite dans un espace encore plus petit: le foyer d’un théâtre. Une bonne location, d’ailleurs. Mais ce qui comptait, c’était la victoire en principe!

 

Wassil Ivanoff, I’homme qui s’est bâti lui-même

Que Wassil Ivanoff se soit bâti lui-même pourrait être un simple fait, mais qu’il y ait réussi sous la dictature communiste mérite des louanges. Peut-être  uniquement quelqu’un qui s’est formé dans les mêmes conditions pourrait comprendre – non, ressentir dans la moelle de ses os – combien il était difficile d’être indépendant, et dangereux de le manifester. On aura raison d’hesiter lequel des deux a une valeur culturelle supérieure sous une dictature: la création d’une nouvelle forme d’art ou la „creation“ et la sauvegarde d’un style de vie indépendant.

Lui, il aurait été un homme étrange, un homme à part dans n’importe quelle société. Mais dans une société du type «socialisme réel», être différent signifiait être «individualiste» et ç’était automatiquement suspect. Car, officiellement, pour la seule bonne classe – la classe ouvrière – le seul bon comportement se fondait sur le «collectivisme». Théoriquement, on n’était pas trop sûrs  qu’est-се que cela voulait dire; mais pratiquement, pour les dirigeants, «collectivisme» était égal à «conformisme». Les rares non-conformistes étaient des êtres anormaux, statistiquement et moralement. Cet homme!? Il suffit d’un coup d’oeil! Imaginez, il se dit peintre, mais avoue que pour lui la peinture est de la musique, et, comme preuve, il explique que pour produire une œuvre graphique il lui faut Mais un peintre,   ça ne joue pas d’instruments et un musicien ne peigne pas! Puis, on parlait de sa femme: une grande dame, des meilleures ballerines du ballet national, et toute la vie ils se comportaient en amants passionnés… mais ils ne se rencontraient que rarement, car il s’était isolé dans un bois près de Sofia, où il vivait en reclus dans une cabane sans eau ni électricité! De plus, au bois, il se coudoyait avec la Fraternité blanche, une secte spirituelle officiellement interdite, où l’on pratiquait la méditation et honorait la Nature et le Soleil – au lieu d’être des bons «soldats du socialisme», chantant en marche vers le Communisme ! On a mentionné son yogisme – mais il est un yogi si accompli qu’il a posé pour les photographies du premier livre de yoga en Bulgarie. Il faut se rendre compte, qu’en Bulgarie après 1944, le yoga était si mal connu, qu’en accusant Ivanoff de yogisme on n’aurait rien dit de sensé «au peuple travailleur»; alors, on inventa l’histoire qu’Ivanoff utilisait le yoga comme paravent pour cacher d’autres rites religieux néfastes… Et, par dessus tout, il avait gagné une réputation comme lecteur de paume, et même de clairvoyant!

Sans doute, il a dû être suivi par assez d’espions volontaires pour tenir les autorités au courant de tous ces activités «non-socialistes». En l’URSS il aurait été détenu au bagne – ou dans une prison psychiatrique spéciale. Mais en Bulgarie, spécialement après la mort de Staline en 1953, le régime a opté pour acheter les élites artistique et intellectuelle, au lieu de les répresser. Wassil Ivanoff, avec sa ligne d’auto-marginalisation, était exclu de cette cooptation: probablement on ne le considéra pas suffisamment important.

Paradoxalement (ou pas?), vivant cette vie non-enviable, il était toujours objet d’envie de la part des artistes et non-artistes: il se comportait comme il voulait, et on le laissait faire! De plus, cet «émigré interne» voulait que son art soit accepté en immigré dans d’autres pays – et, d’une manière ou d’une autre, il réussissait! Avec le gouvernement et la société contre lui, il a gagné des amis personnels en Bulgarie et ailleurs qui l’ont aidé à montrer son art nouveau. Il a eu plusieurs expositions, modestes, mais bien reçues, dans des pays communistes et non-communistes (par exemple, en Pologne et en Grande Bretagne). Aussi, en 1965, il lui était permis d’aller à Berlin Est pour y avoir une exposition individuelle, mais des amis allemands ont  réussi à la transporter aussi à Berlin Ouest. La Bulgarie officielle n’a pas pu l’interdire, mais elle s’est vengée en lui interdisant d’aller à l’Ouest pour le vernissage. A part ça, ils ont envoyé à sa place un membre de la police politique déguisé en diplomate, afin de mentir au vernissage qu’Ivanoff était malade et regrettait beaucoup de ne pas pouvoir assister…

Il est arrivé que les quatre dernières années de sa vie Wassil Ivanoff est passé pour de vrai à l’Ouest – en France et en Suisse. Cela a été assuré par Yuri Boukoff, pianiste classique bulgare, naturalisé français, qui était toléré par le régime. Boukoff a réussi à persuader les autorités de laisser Ivanoff se rendre à Paris et vivre quelque temps avec lui. Ivanoff a eu quelques expositions dans quelques galeries et on lui a acheté quelques œuvres. Mais la popularité n’est jamais venue; j’espère que plus haut j’ai expliqué pourquoi. Dans une lettre à sa femme, il se plaignait que la vie primitive dans le bois de Sofia lui manquait: là-bas c’était calme, et les faubourgs à l’ Ouest l’étouffaient. Tout à coup, il est tombé malade; on l’a renvoyé d’urgence en Bulgarie, mais il mourra de suite, à l’âge de 66 ans.

Dans une lettre adressée à sa femme de l’étranger, Wassil a demandé, rhétoriquement: «Qu’est-ce que le succès?» Bon, on sait déjà le nécessaire pour répondre: il était le seul artiste bulgare qui a réussi à créer, à lui seul, un espace artistique nouveau, un Monde Cosmique ; il a été aussi parmi les très peu nombreux artistes bulgares qui ont réussi à défendre leur espace personnel de liberté morale. Toute sa vie il a fait ce qu’il croyait qu’il devait faire. Il a travaillé pour son âme et l’a laissée travailler se servant de lui. Je crois qu’on lui doit beaucoup de respect… auquel peut-se joindra spontannement un peu d’envie blanche.

Chapeau, Wassil Ivanoff!

 

[*] Ii y avait aussi un quatrième, Dimitar Dobrovich (1816-1905), un alumnus d’écoles d’art à Athènes et Rome. Mais sa vie se déroula presque entièrement en Grèce et Italie, et son influence sur l’art bulgare ne fut pas grande.

 

Visions Célestes

LE CYCLE COSMIQUE plonge le spectateur dans des paysages cosmiques, des corps célestes et l'immensité de l'inconnu. Le médium monochrome accentue la sensation de profondeur et d’infinité, éveillant un lien profond avec l’univers. Un voyage à travers l’espace et au-delà, capturé dans des contrastes saisissants de craie blanche sur papier noir.

Max-Pol Fouchet

EXPOSITION “HOMMAGE A WASSIL IVANOFF”
« Les œuvres de Wassil Ivanoff relèvent indiscutablement de l’art, et la dextérité de la main qui les a créées, la virtuosité même avec laquelle l’artiste a projeté ces figures blanches ou colorées sur le fond noir, la sûreté du trait et de la vision ne laissent aucun doute. Pourtant, cette maîtrise n’est qu’un moyen au service d’une poétique, d’une pensée, d’une vision qui dépasse la simple réussite esthétique, révélant une profondeur unique et inimitable. »
Prof. Chavdar Popov, D.A.
CONTEMPLATION DE LA NATURE ET VISUALISATION DU COSMOS
« D’ailleurs, la première exposition présentant des œuvres de ce cycle a été inaugurée au milieu des années 1960 à Sofia. Fait intéressant, peu de temps après, l’Encyclopédie des Beaux-Arts de New York le décrivait comme le précurseur d’un nouveau courant artistique alors appelé “Graphisme Cosmique”. C’est précisément avec ces dessins, et surtout grâce à eux, que Wassil Ivanoff est resté largement en marge des principales tendances et courants stylistiques de l’art bulgare du XXe siècle. »
Kalin Nikolov
À L'ÉPOQUE DE L'ART AUTHENTIQUE
« Au-delà ou au sein de la temporalité de l’art ! Il a suivi la quête des tendances contemporaines, emprunté un chemin profond et audacieux dans son œuvre, a été le premier artiste abstrait bulgare et s’est distingué par une philosophie et une manière de travailler entièrement personnelles. »
Deyan Kiuranov, PhD
WASSIL IVANOFF, CRÉE PAR LUI-MÊME
« En 1971, l’artiste visuel Wassil Ivanoff s’est rendu à Paris depuis sa ville natale de Sofia. Pour un artiste de la République populaire de Bulgarie de l’époque, Paris n’était pas seulement un lieu de rencontre avec l’art mondial, mais aussi une partie de l’Occident, où l’art était perçu différemment — tant sur le plan esthétique que commercial. D’un point de vue commercial, le séjour d’Ivanoff ne fut pas un succès. »

« ...Nous reconnaissons que nous sommes en présence
de l’un de ces créateurs qui,
à juste titre, sont les gardiens de la lumière... »

Max-Pol Fouchet

En plus du cycle emblématique “COSMOS”, la collection Anastasov comprend plus de 600 œuvres, dont des portraits peu connus, des paysages, des natures mortes, des études de nus et des motifs abstraits

Traces Élémentaires

Découvrez la force brute de l’huile et son expression intemporelle sur toile et carton.

Paysages en mouvement

Des scènes naturelles sereines aux abstractions dynamiques, où la forme, l’espace et le mouvement se rejoignent.

Formes en transformation

Études de nus et portraits entre abstraction et réalisme – capturant l’essence sous la surface.

Encre et Alchimie

Minimaliste mais puissante : ces œuvres rares à l’encre et techniques mixtes révèlent l’essence de la ligne et du contraste.

Échos de lumière et de couleur

Compositions à la craie qui dansent entre douceur et éclat, où le cosmique rencontre le terrestre.